Profession: oenotourisme

Cet automne, une centaine de professionnels de l’oenotourisme venus de cinq continents se sont réunis au coeur de notre vignoble. Voir notre production viticole avec les yeux d’experts originaires de Bordeaux, Capetown, Mendoza, Porto… L’occasion était trop belle ! Et les avis parfois surprenants…

Texte : Anick Goumaz
Photos : Céline Michel

Dans le lobby d’un hôtel lausannois, une troupe hétéroclite commence à se former. Au début, seuls s’échangent quelques regards et de timides salutations. Bien vite, les habitués se reconnaissent et se regroupent au gré de leur langue maternelle : anglais, allemand, espagnol et même afrikaans résonnent de plus en plus fort dans l’espace devenu trop petit pour tous nous accueillir. Il est l’heure et il ne faudrait pas faire mentir notre réputation de ponctualité. Une guide touristique rompue à l’exercice salue les différentes délégations des Great Wine Capitals. Ce réseau réunit des professionnels de l’œnotourisme issus de 12 villes membres : Bordeaux (France), Vérone (Italie), Bilbao (Espagne), Porto (Portugal), Napa Valley (Etats-Unis), Valparaiso (Chili), Mendoza (Argentine), Le Cap (Afrique du Sud), Mainz (Allemagne), Hawke’s Bay (Nouvelle-Zélande), Adélaïde (Australie) et Lausanne. Parmi eux, des collaborateurs d’offices du tourisme, des employés de grandes caves viticoles ou des agences de voyage spécialisées dans les séjours mêlant loisirs, culture et connaissance des vins. Pendant cinq jours, ils vont alterner les séances de travail, les échanges sur des thématiques actuelles et les visites des hauts lieux œnotouristiques vaudois et suisses. Pour l’heure, tout le monde se met en route dans une ambiance de course d’école. Les présentations n’ont pas encore été faites, mais de rapides coups d’œil sur les badges que chacun porte autour du cou, ornés d’un gros drapeau, aident à briser la glace. L’architecture lausannoise fascine Henry Fredericks Prins, employé du gouvernement local de Stellenbosch, le plus célèbre vignoble d’Afrique du Sud. « J’aime votre manière de mêler le neuf avec l’ancien. » Au-delà de la courte escapade urbaine, la centaine de participants se réjouit surtout de s’immerger dans les domaines viticoles et de goûter à nos crus. En guise de bienvenue, Yann Stucki, notre « monsieur œnotourisme » vaudois (voir encadré), fournit un lexique de mots-clés francophones indispensables à leur séjour : « apéro », « carnotzet », « fait sec », « pedzer », et enfin « santé/salute/zum Wohl ». Le cadre est posé : les délégués des Great Wine Capitals n’ont pas fait le déplacement que pour travailler…

Lavaux et Léman superstars

Malgré les pluies automnales, l’excursion à Lavaux représente l’un des moments forts du programme. Les nuages et les murmurations d’étourneaux amènent une touche poétique supplémentaire dans les nombreux clichés pris par l’ensemble des participants entre deux verres de chasselas. « Je trouve ce cépage très agréable et équilibré », commente Florence Maffrand, responsable des partenariats viticoles à la Cité du Vin de Bordeaux, qui enregistre 400’000 visiteurs par année. La pétillante Française connaît déjà la Suisse, « j’ai eu la chance d’être invitée à la Fête des Vignerons. » Elle a donc eu le loisir de comparer nos deux régions. « Nos environnements diffèrent complètement, tant mieux. Je ne sais pas tout du canton de Vaud, mais j’ai l’impression que le lac présente encore du potentiel. A Bordeaux, beaucoup d’activités s’organisent autour de La Garonne. Les structures et les domaines suisses sont limités par leur taille. Mettre à profit le lac permettrait de prendre une autre dimension. » 

Tradition et qualité-prix au cœur des discussions

Effectivement, on pense un peu à l’histoire de David contre Goliath en s’installant dans le petit train Lavaux Panoramic, à Chexbres, avec des représentants de mastodontes internationaux, tels que Mendoza (150’000 ha de vigne, soit dix fois l’ensemble de la viticulture helvète). Assurant le lien entre cette région et les Great Wine Capital, la sommelière Carolina Suarez Garces connaissait très peu la Suisse et ses vins. « Chez nous, un seul producteur peut vinifier toute la surface de Lavaux. A Mendoza, un domaine doit compter au moins 20 ha pour faire vivre une famille. » Mais Carolina voit surtout des avantages dans notre viticulture à taille humaine : « Vous possédez quelque chose de spécial que même les plus riches producteurs argentins ne peuvent pas s’offrir. Les touristes aiment les traditions, les histoires de famille, on ne peut pas tricher avec ça. Et puis, les petits domaines apportent de la variété. Mendoza est si grand qu’on n’arrive pas à visiter plusieurs vignerons en une journée, comme on le fait à Lavaux aujourd’hui. » Concentré sur sa dégustation, José Carlos Fernandes a momentanément quitté son poste de directeur au palais de Mateus, dans le vignoble du Douro, au Portugal, pour participer à l’événement. A la tête de 120 hectares de vignes, le Portugais s’enthousiasme pour un pinot noir de Lavaux : « Nous avons un problème en commun : nous devrions vendre nos vins plus chers, car ils sont qualitatifs. Tout le monde sur la scène viticole sait que les Suisses aiment les vins de prestige élaborés tout autour du globe. Mais les vôtres sont excellents ! Pourquoi est-ce que vous buvez des vins moins bons et plus chers ? » Ce débat des plus intéressants doit s’écourter, car il est déjà l’heure pour la troupe de retourner à l’hôtel. Ils profiteront d’un repos de courte durée. Chargé, le programme de ces cinq jours leur aura permis de rencontrer de nombreux vignerons, de vivre une soirée digne d’un ressat au château de Chillon et – aux dires de certains participants peu habitués à ce régime – de faire le plein de fromage fondu pour un bon moment ! De retour chez eux des étoiles plein les yeux, ils deviennent de nouveaux ambassadeurs pour la Suisse et ses vins.