Texte : Pierre-Etienne Joye
Photos: Brigitte Besson
La Flûte enchantée, Mozart l’a composée. Il faut aussi en quelque sorte savoir aligner les notes justes pour confectionner des flûtes dites vaudoises. Une partition aux accents dorés et croquants, avec un goût de beurre qui doit exploser en bouche, comme un tremolo gustatif. « C’est un produit de luxe délicat », précise d’emblée Pascal Clément, Vice-grand Maître de la Confrérie vaudoise des Chevaliers du bon pain et l’un des responsables de l’organisation du premier Mondial de la flûte. Celui-ci s’est tenu en juin dernier à Tolochenaz (voir encadré). « J’ai moi-même concouru, note le boulanger de Daillens, mais je n’ai pas été retenu parmi les dix derniers qualifiés pour la finale. Mes flûtes n’étaient pas aussi longues que celles des autres concurrents. » Est-ce à dire que le bâton craquant -souvent torsadé aujourd’hui- doit être calibré et codifié ? Dans une certaine mesure oui, mais pas forcément. S’il y a une constante dans sa fabrication, une rigueur à respecter, la flûte au sel connaît plusieurs variantes, chaque artisan s’appropriant à sa façon la friandise raffinée, sans pour autant en faire un standard à tout prix. On se délecte ainsi de flûtes droites ou tortillées, plus ou moins élancées, et souvent agrémentées de sésame, pavot, fromage, olive, ail des ours ou encore de greubons, autre fleuron du terroir vaudois.
Processus rigoureux
L’élaboration d’une flûte vaudoise avenante relève toutefois d’un procédé précis. Une rigueur indispensable que détaille Pascal Clément, également vice-président des artisans boulangers-pâtissiers-confiseurs vaudois (ABPCV) : « Il s’agit pour ma part d’une pâte levée tourée, comme une base de pâte à tresse avec de la levure. Le processus complet prend généralement deux jours. Les étapes de repos de la pâte, le façonnage, le temps de cuisson sont des éléments primordiaux pour obtenir une flûte parfaite. Trop cuite, elle va roussir et le beurre brûlé va lui conférer une amertume désagréable. » Entre deux, il y a le moment crucial du tourage où le beurre est enchassé dans la pâte en couches successives, comme une enveloppe à plusieurs plis. La température des ingrédients doit être identique. Le passage au laminoir, la découpe des bandes à la roulette et le torsadage à la main constituent encore des phases essentielles. « Ce sont des traitements compliqués, on n’a pas le droit à l’erreur. Le travail en amont est très important », avertit Pascal Clément. Au final, ses flûtes pèseront environ quatre grammes et seront conditionnées en paquets. Leur coût ? Entre 55 et 75 francs le kilo.
Produit d’appel
Avec un bon chasselas, une bonne flûte s’impose donc. Ou l’inverse. Un binôme devenu une évidence avec le temps. Car l’histoire de cette fine baguette magique vaut le détour. Selon le Patrimoine culinaire suisse, la première mention d’une recette de flûte figure dans un livre de cuisine neuchâtelois datant de 1891. Mais son essor dans les autres cantons, en particulier celui de Vaud, arrive au milieu du XXème siècle. Les flûtes sonnent aujourd’hui comme un produit d’appel dans les boulangeries vaudoises et font écho au savoir-faire des artisans, même si elles sont aussi élaborées de manière industrielle. On peut à ce propos citer en clin d’œil La Fabrique Cornu à Champagne (VD). Son patron avait dû croiser le fer il y a une quinzaine d’années avec la France pour avoir appelé ses gourmandises croquantes « flûtes de Champagne ». Bisbilles juridiques passées, la mention a disparu mais les flûtes droites et twistées sont toujours disponibles.
Bâtonnets croustillants
Mentionnons pour terminer les mini flûtes relativement récentes réalisées au sein de l’entreprise sociale Afiro à Ecublens. Une autre manière de fonctionner de surcroît avec ces fameux bâtonnets croustillants vaudois, exécutés depuis une quinzaine d’années seulement. Une version moderne de la flûte traditionnelle ? On peut le voir comme ça : plus court que sa grande sœur, le bâtonnet a été créé pour représenter des valeurs de partage et d’inclusion, en privilégiant l’approvisionnement des matières premières vaudoises. La taille de la flûte en forme de petit stick est la marque de fabrique de la firme qui entend miser avant tout sur le local et l’artisanal.
Quoiqu’il en soit, la flûte vaudoise dans tous ses états fait un grand bond en avant et acquiert une fière réputation loin à la ronde. Toujours en harmonie et à l’honneur en apéritif quand elle accompagne les meilleurs crus…vaudois. Il y en a qui craquent même au goûter ou en fin de repas avec le fromage.
Vainqueur de Vallorbe
Le Mondial de la flûte s’est tenu le 17 juin dernier à la Cave de la Côte à Tolochenaz. Seules les flûtes « nature », au sel et au beurre étaient admises. Les participants ont été jugés sur l’aspect général du produit, sa couleur, sa régularité, sa texture et friabilité, sa réaction en bouche, son goût et son arôme. La compétition a réuni 50 concurrents, dont une trentaine de vaudois, un Suisse alémanique, un tessinois et un bourguignon. Dix finalistes étaient sélectionnés pour le dernier round. Le grand champion ? Il s’agit d’Anthony Coudray, de la boulangerie L’enKA à Vallorbe. L’artisan a remporté le trophée et une médaille d’or. Pour l’anecdote, Anthony Coudray est d’origine bretonne. « Mon épouse est vaudoise. Je me suis mis assez naturellement à apprivoiser et perfectionner cette spécialité, en utilisant des ingrédients locaux », note l’heureux lauréat. Ses dauphins sont Luca Cossettini, de la boulangerie Chez Séverine et Luca à Lausanne, et Christian Boillat de la confiserie du même nom sise notamment à Saint-Prex. Tous deux ont également obtenu une médaille d’or. Ce Mondial de la flûte s’inscrit dans le cadre de la promotion des produits de boulangerie du canton de Vaud. L’événement se tiendra tous les deux ans.