Texte : Cécile Collet
Photos: Louis Dasselborne
Il ne sert à rien de tendre l’oreille: il n’y a plus d’explosion chez Pierre-Yves Poget depuis bien longtemps. « Mon grand-père, qui a toujours fait ses vignes, produisait un peu de mousseux de gamay pour la famille. Il devait attacher le bouchon avec une ficelle, parce que, parfois, des bouteilles éclataient dans la cave! » s’amuse le seul vigneron-encaveur d’Agiez. Depuis 2021, les bulles sont de retour au domaine, mais avec un muselet de sécurité. Le Belle de Nuit, un blanc de blanc issu de chardonnay et de doral « pour un petit plus aromatique », porte l’autre nom de la fleur Mirabilis, qui a baptisé la cave.
Entre ces deux mousseux, on pourrait raconter l’histoire des vignerons-paysans des Côtes-de-l’Orbe. Ils représentent encore environ la moitié des exploitants dans cette région agri-viticole, indique le vigneron. Le gamin d’Agiez a grandi entre vignes et vaches, mais ce qu’il préférait, c’est « aller sentir les odeurs de fermentation dans la petite cave en-dessous de chez mes grands-parents », où son père André a fait ses premières vinifications en 1986. « Il fallait se gaffer à cause des gaz dans cette cave enterrée », raconte-t-il presque en chuchotant, traduisant le mystère.
Le petit Pierre-Yves avait 5 ans, et l’on sait le poids des souvenirs de la petite enfance. Quand il revient sur le domaine en 2003 (il reprend en 2012), à 22 ans, après Changins, son cœur bat donc davantage pour les vignes que pour le bétail laitier. « Les vaches, il faut être fait pour ça », explique-t-il. Marine, 13 ans, et Bastien, 11 ans, décideront s’ils suivent les traces de leur père.
Aujourd’hui, le domaine de 41ha en comporte 7,6 de vignes et la ferme abrite un grand caveau de réception. Une nouvelle cave a été aménagée dans un bâtiment à la sortie du village en 2007. Car il fallait bien de la place pour élaborer tous les vins de Pierre-Yves Poget, conseillé par l’œnologue Laurence Keller. Combien? « Je n’ai pas compté! dit-il en se retournant pour observer l’alignée de bouteilles contre le mur du carnotzet. Ah ouais, 18. Bientôt 19, je viens de planter du divico… »
Le gamay, le pinot noir et le chasselas font forcément partie du lot. On a aimé le chasselas Bellevue, planté dans une pente plein sud, qui développe un nez d’ananas et une bouche ample. Mais aussi cet Oeil-de-Perdrix qui ramène sa fraise (presque Tagada!) au nez comme en bouche. Et ce gamay, dont le cru issu des vieilles vignes du Clos est désormais promu Premier Grand Cru vaudois: une première pour le cépage (lire encadré).
Pierre-Yves Poget s’est aussi aventuré loin des sentiers battus. Son gewürztraminer emplit le palais de rose épicée, son sauvignon blanc est ultra aromatique, son savagnin blanc, élevé sur lies et en barrique, d’une belle ampleur. Le vigneron l’a nommé « Bellis », du nom savant de la pâquerette.
Dans son herbier, il y a aussi l’Adonis (gamaret-garanoir), l’Eucharis (cabernets dorsa, franc, sauvignon et merlot) et, bien sûr, le Mirabilis (gamay, pinot, gamaret, galotta), des vins rouges puissants qui plongent leurs racines dans le calcaire jaune d’Agiez, Montcherand, Orbe, Rances et Valeyres-sous-Rances. « Je cherchais un nom fantaisie pour mon premier assemblage, en 2007. J’ai demandé à ma femme Annick, fleuriste, de me passer ses livres et j’ai choisi cette toute petite fleur qui s’ouvre le soir et se ferme le matin. » Petite pause coupable avant qu’il reprenne: « Il y avait une discothèque qui portait ce nom à Conthey, tout près de Châteauneuf. C’est aussi un clin d’œil à quelques belles soirées entre étudiants! » La Belle de Nuit au joli nom latin deviendra l’emblème du domaine, dont les étiquettes se parent d’une fleur symbolique, dessinée par la peintre yverdonnoise Patricia Monnard.
Pierre-Yves Poget l’admet si on le titille un peu, humilité vaudoise oblige: « Ce dont je suis fier? C’est d’être parti de 2 ha pas vinifiés à ces 7,5 ha aujourd’hui mis en bouteilles à la propriété (ndlr: 40000 cols en 2023). » Il pourrait aussi ressentir de la fierté par rapport aux différentes médailles que ses vins obtiennent année après année dans différents concours. « Évidemment que les médailles, ça fait connaître. Mais si je présente mes vins dans les concours, c’est surtout pour savoir où je me situe par rapport aux collègues et pour entendre ce que les dégustateurs ont à dire. »
Sa première médaille – l’or pour son gamay Le Clos barriqué à la Sélection des vins vaudois en 2003, « une année chaude, c’était épicé » – était aussi son premier essai. « Ça m’a motivé », sourit-il. Grand Prix du Vin Suisse, Mondial du Merlot, du Pinot ou du Chasselas, Lauriers de Platine… Les vins Poget trustent les podiums!
Gamay super star
Pierre-Yves Poget chérit le cépage gamay, qu’il a planté sur différents parchets. Mais s’il est une parcelle qu’il bichonne particulièrement, c’est Le Clos. Le vin qui en est issu, élevé en barriques de chêne, vient d’être sacré Premier Grand Cru vaudois. Une première! Le cépage n’était jamais entré dans ce club très fermé qui, depuis 2012, consacre une vingtaine de vins, réévalués chaque année. Ces crus doivent respecter un cahier des charges strict (forte densité, vieilles vignes, faible rendement) et répondre à trois critères: être issu d’un domaine qui jouit d’une reconnaissance historique, montrer avec constance une haute qualité et promettre un potentiel de garde élevé.
Le Clos réunit tout cela. Avec un brin d’émotions en plus. André, le père de Pierre-Yves, cultivait déjà cette parcelle, quand le domaine ne faisait encore que 2 hectares. « Il n’y avait qu’1m40 d’écart entre les lignes, c’est aussi pour ça que le raisin est d’une telle qualité », explique Pierre-Yves Poget, en montrant son poing fermé pour indiquer la petitesse des baies ultra concentrées. Aujourd’hui l’écart entre les rangs est de 1m60 (comme sur quasi tout le domaine) pour une densité de 7800 pieds/ha, et Le Clos est vinifié en barriques bourguignonnes (depuis 2001) de un à plusieurs passages. Une idée germe du côté de ces contenants: « Il y a quelques très beaux chênes sur le domaine, on peut peut-être en tirer des fûts! »