Guignons sous le couvercle du petit pâté vaudois

Quelque 5 millions de petits pâtés vaudois sont consommés chaque année en Suisse. Mais pas que par des Vaudois! Pourquoi donc notre encas préféré a-t-il tant de succès?

Texte : Cécile Collet
Photos : Valentin Flauraud

C’est à une star mondiale que cet article est consacré. En effet, le petit pâté vaudois a son Championnat du monde depuis 2020. Celui du pâté-croûte, qui se déroule à Lyon, en est à sa 15e édition, et c’est souvent un Japonais qui gagne, mais ça c’est une autre histoire… Les rois du petit pâté vaudois sont, eux, tous bien de chez nous. Sur les quatre éditions (2024 n’a pas eu lieu), Le Petit Encas d’Etagnières en a remporté trois. C’est la boulangerie Durgniat, à Villeneuve, qui leur damait le pion en 2022.

Mais qu’a-t-il de vaudois, ce petit pâté? « On ne connaît pas vraiment l’historique de cette spécialité, répond Philippe Stuby, président de la Confrérie de la charcuterie artisanale, qui organise le concours. Mais ce qu’on sait, c’est que c’est dans le canton qu’il s’en mange le plus. » Le Patrimoine culinaire suisse indique en effet qu’il n’existe aucune preuve de son origine autre que l’épicentre de sa consommation: le canton de Vaud et les régions proches.

On commence à trouver des recettes de pâtés ronds dans les livres de cuisine suisses au 19e siècle. Ce sont des témoignages oraux qui « permettent d’affirmer avec certitude » que les petits pâtés à la viande sont produits dans la région vaudoise depuis la première partie du 20e siècle, nous dit encore le Patrimoine culinaire suisse. Mais c’est dans les années 1970 que la spécialité vaudoise prend vraiment son essor. Artisanal, puis industriel, dans la région romande, puis dans toute la Suisse. 

Le comble? C’est une entreprise neuchâteloise – Le Martel – qui fabrique le premier petit pâté à grande échelle. Devenue Le Patron/Orior au gré des fusions-acquisitions, son usine se situe désormais dans la campagne bâloise, et c’est encore un des principaux fabricants. Avec Jowa (Migros), à Ecublens, ils produisent les deux tiers des 5 millions de pièces vendues chaque année en Suisse.

Une confection longue et coûteuse

La tradition du pâté artisanal existe encore, qu’il soit produit par le boucher ou le boulanger, ou les deux en collaboration, mais elle n’excède pas 10%. La confection est longue, demande de la main-d’œuvre et du matériel, ainsi certains se sont concentrés uniquement sur ce produit. C’est le cas du Petit Encas, qui produit 3500 pâtés par jour, emploie 12 personnes et compte 130 revendeurs. Depuis douze ans, tout est fait dans le laboratoire d’Etagnières, avec des produits locaux. Le pot-au-feu qui donnera la farce est fait de porc (épaule, jambon ou poitrine) ou de veau suisse et de légumes et persil de la Ferme du Taulard à Romanel. Les farines viennent du Moulin d’Echallens, le cognac pour la gelée de la cave du Vallon à Aubonne. Et la préparation nécessite en tout 2000 litres de chasselas de Mont-sur-Rolle par an!

Le Petit Encas, photo Valentin Flauraud
Gaël (gauche) et Daniel (droite) Grossenbacher – Le Petit Encas, production de pâtés vaudois, ce mercredi 12 mars 2025 à Etagnières. (Valentin Flauraud)

 

La success story de l’entreprise du Gros-de-Vaud a débuté tranquillement à Morges, à la boucherie La Gracieuse. « J’y vendais des aspics faits maison et des pâtés que j’achetais chez un autre boucher, raconte Daniel Grossenbacher, fondateur de la marque avec sa femme Brigitte et sa belle-soeur Maggy. Quand il a pris sa retraite, j’ai récupéré sa recette et son matériel. » Mais la production exige de la place. Il installe un laboratoire dans la cave de sa belle-mère à Etagnières, puis un autre à la laiterie du village, et finit par lâcher la boucherie pour ne se concentrer plus que sur ce produit phare.

Le Petit Encas est créé en 2000. Mais le boom survient en 2010: il remporte le Pâté d’Or de la Fête du goût de Lausanne, se place premier lors d’une dégustation de « À bon entendeur » et Maggy et Brigitte sont faites membres d’honneur de la Confrérie du Pâté-Croûte lyonnais. La consécration! Ce coup de projecteur attire même le fameux animateur et critique gastronomique Jean-Pierre Coffe à Etagnières. « Il devait venir une heure pour visiter, il est resté tout l’après-midi », rigole Daniel Grossenbacher. Qu’a-t-il pensé du petit pâté vaudois? « Il ne connaissait pas, il a apprécié. En tout cas, il n’a pas dit que c’était de la m! » Quelques mois plus tard, les pâtés vaudois des Grossenbacher se retrouvent à l’inauguration de la Maison Blancpain à Paris, aux côtés de Coffe. 

Ce n’est pas l’unique fois que la spécialité voyage: elle est faite pour ça! Le Meilleur ouvrier de France charcutier Fabien Pairon s’est aussi plusieurs fois mué en ambassadeur du petit pâté vaudois. Il est par exemple allé former son ami Emmanuel Renaut, autre MOF, chef du restaurant étoilé Flocons de Sel à Megève. « Maintenant, il propose des petits pâtés vaudois dans son bistrot sur les pistes. Il adore! Et les Suisses qui skient là-bas aussi. » 

Fabien Pairon, photo Valentin Flauraud
Le chef François Pairon nous présente son pâté en croûte dans son restaurant, l’auberge du Mont-sur-Lausanne, ce leudi 18 mars 2025.

 

Le patron de l’Auberge du Mont-sur-Lausanne a aussi inscrit sa recette du petit pâté sur l’application L’Académie du goût, d’Alain Ducasse. « Je fais ce que je peux pour le produit », sourit le chef, convaincu par le potentiel de l’encas vaudois. « C’est un produit street-food, super contemporain, pratique, reconnaissable, s’emballe-t-il. On le trouve dans les festivals, au bistrot, on peut le prendre en randonnée… Le petit pâté vaudois est « multitâche », et ça c’est un sacré atout. » 

Faut-il protéger le petit pâté vaudois par une IGP?

Pour lui, la spécialité gagnerait à obtenir son IGP, comme la saucisse aux choux ou le saucisson vaudois avant lui. « Il s’en consomme des milliers par jour, toutes les personnes qui passent dans le canton de Vaud devraient avoir mangé un pâté vaudois. » Du côté des producteurs, l’IGP a pourtant peu de chances de passer… « Ah non, ça ne va pas jouer, euphémise Philippe Stuby. Parce que chacun a la meilleure recette! » 

En effet, chacun y va de ses petits secrets, aucune liste précise d’ingrédients n’étant définie. Dans Patrimoine culinaire suisse, on lit: la farce comportera du jambon haché de porc cuit et/ou de la farce à saucisson ou à saucisse à rôtir, avec une adjonction de viande de veau ou d’autres morceaux de viande possible; la pâte brisée est confectionnée à partir de saindoux et/ou de beurre.

« L’absence de cahier des charges nous avait posé problème pour le concours », se souvient Philippe Stuby, qui était secondé dans sa tâche par Fabien Pairon. Il avait été décidé de n’exiger que la forme conique et d’exclure les produits de saison et de luxe comme le gibier et la truffe. 

La fantaisie? Seulement pour le pâté en croûte!

En réalité, peu se risquent à sortir des sentiers battus. « J’avais essayé d’en faire au poulet et citron confit, se souvient-il. C’était bon, mais ce n’était plus un pâté vaudois! » Le consommateur est plus prompt à accepter la fantaisie dans un pâté en croûte vendu en tranches.

Pâté en croûte de Fabien Pairon, photo Valentin Flauraud
Le chef François Pairon nous présente son pâté en croûte dans son restaurant, l’auberge du Mont-sur-Lausanne, ce leudi 18 mars 2025.

 

C’est là la spécialité de Fabien Pairon, intarissable sur le sujet. « Le pâté croûte, ou pâté en croûte – c’est une querelle de clochers entre Lyon et Paris – a une longue histoire. Il permettait d’utiliser la viande de porc qui restait, à une époque où tout le monde avait un cochon, qui souvent s’appelait « Rillette »! Mettre de la viande sous gelée et dans de la pâte la conservait mieux. »

En France, où la tradition charcutière – un mot qui vient de « chair cuite », nous apprend l’ancien professeur à l’Ecole hôtelière de Lausanne – est très vivante, le pâté en croûte se décline de mille manières. « Les épices sont la signature du charcutier, dit-il. Mon père mettait un peu de fleur d’oranger dans tout. » Fabien Pairon, lui, aime utiliser du macis ou de la muscade, un bon poivre moulu au dernier moment, ou un mélange quatre épices. Il met même une touche de sucre pour contrer l’acidité de la viande, et glisse un soupçon de café dans la farce du veau.

Pour la pâte, lui ne jure que par le beurre, qu’il aromatise parfois en le fumant ou en lui ajoutant des champignons. « Le saindoux apporte davantage d’arômes, et rend le produit plus friable quand il est cuit, mais la pâte est difficile à travailler car trop souple. » Il aromatise la pâte avec du sel, du poivre et du sucre. Mais c’est surtout la cuisson qui est décisive pour le croustillant final. « On commence à 220° pour torréfier la farine durant vingt minutes, explique-t-il. Puis on termine à 95° pour faire cuire la farce. » 

Le pâté en croûte, comme le petit pâté vaudois, sont des produits qui exigent une « prouesse technique », selon lui. Alors que le produit, qu’on trouvait sur tous les zincs des pintes vaudoises accompagné de son petit tube de moutarde, semble simple comme bonjour pour celui qui le déguste.

Dans tous les cas, son succès ne faiblit pas. « Les commandes augmentent encore », confirme Gaël Grossenbacher, qui vient de reprendre l’entreprise familiale avec son frère Robin. « Et comme je pense que l’apéro restera toujours ancré chez nous, il n’y a pas de raison que ça s’arrête. »