Déguster des fleurs avec les yeux

Sèches ou fraîches, les fleurs comestibles donnent de la couleur dans les plats. Davantage utilisées pour leur potentiel visuel, certaines variétés dopent aussi moultes préparations culinaires grâce à leur parfum discret. Focus sur deux productions florales vaudoises.

Texte : Pierre-Etienne Joye
Photos : Sandra Culand, Beau-Rivage Palace

Ah ! Croquer une fleur de pissenlit en gambadant dans un pré tout de jaune fleuri ou savourer la saveur espiègle de l’étoile blanche florissante de l’ail des ours au gré d’une promenade dans un sous-bois… ces petites manies gourmandes peuvent donner des idées pour agrémenter une recette et surtout apporter des éléments décoratifs à la préparation. Votre filet de truite meunière fait grise mine aux côtés de ses patates vapeur ? Quelques pétales rendront aguicheuse la composition de votre assiette. La laitue du jardin est servie fraîche, relevée d’une vinaigrette bien équilibrée ? Elle sera plus euphorique si vous la parsemez d’une pincée de menues fleurs sèches bigarrées.

Bouquet coloré

Des combinaisons de fleurs séchées comestibles, c’est justement ce que propose Jasmin Reymond-Grünenfelder à Vaulion dans le Jura-Nord vaudois. « Au début des années 2000, mon papa a décidé de son propre chef d’élaborer un mélange floral, explique la cultivatrice. C’est rapidement devenu un de nos produits phare. » Jasmin Reymond-Grünenfelder s’amuse à dire qu’elle est pour ainsi dire née dans le jardin familial et qu’elle a littéralement grandi dans les plantes. « L’engouement pour les fleurs en cuisine ne fléchit pas. Tout est parti d’une mode, mais la tendance s’est inscrite dans les mœurs et ne s’essouffle pas. » 

L’offre compte aujourd’hui une douzaine de fleurs. Du coquelicot à la mauve, de l’edelweiss aux soucis. Et plusieurs types de bleuets. Ils entrent dans l’assortiment du fameux assemblage qui a fait la renommée de la maison, complété de tagètes, tournesols et pétales de rose. Un panachage conçu tout spécialement pour saupoudrer la salade, mais les restaurateurs et les particuliers se plaisent aussi à l’utiliser pour décorer toutes sortes de mets. En disséminer sur une fondue est même devenu assez courant. Au domaine, la culture de ses fleurs annuelles commence en mai et la saison se termine mi-octobre. L’étape du séchage -en circuit fermé avec ventilateur et déshumidificateur- se réalise au fur à mesure de la récolte, tout comme le tri, quand il s’agit entre autres d’ôter les insectes. Le stock établi, les fleurs sont mélangées, conditionnées et empaquetées. Le résultat ? Des couleurs avant tout. « Les bleuets composent la majeure partie du mariage. Ils ont une couleur très différente l’un de l’autre. Les tagètes apportent le côté jaune pétant ou orange vif, souligne Jasmin Reymond-Grünenfelder. L’avantage des bleuets, c’est qu’ils ont très peu de goût. Ça ne dénature pas la saveur du produit que l’on souhaite embellir. Ils restent agréables à manger, avec une présence discrète en bouche, mais leur but est avant tout décoratif. »

Fantaisie visuelle

Des fleurs fraîches en cuisine à présent ? Voilà le créneau du Marché Cuendet à Bremblens, dans le district de Morges. Mathieu Cuendet produit toute l’année une bonne vingtaine de variétés, sous serre ou en plein champ selon la saison. Le maraîcher explique que l’initiative vient de son père. Des grands chefs -dont Girardet- lui ont demandé il y a une trentaine d’années de faire pousser des fleurs comestibles. En précurseur, il leur soumet pensées, capucines, soucis, bourraches ou tagètes. Après coup se sont rajoutés de nouveaux specimens, comme les crêtes de coq, une sorte de sauge très sucrée. « Quand on les récolte, on a les mains qui collent », rigole Mathieu Cuendet. Le cultivateur reconnaît également que les fleurs destinées à la gastronomie s’emploient principalement dans un but esthétique. Mais il ne conteste pas les vertus gustatives des capucines ou des tagètes par exemple. « On mange d’abord avec les yeux, c’est indéniable, et les fleurs fraîches apportent une réelle plus-value au gré de l’humeur et de l’inspiration en cuisine. » La récolte des fleurs a lieu au jour le jour, selon le besoin établi par les commandes, les marchés ou la restauration. Et Mathieu Cuendet de citer fièrement l’une de ses plus fidèles clientes : la multi-étoilée Anne-Sophie Pic au Beau-Rivage Palace à Lausanne. 

On l’aura compris, qu’elles soient délibérément sèches ou de toute première fraîcheur, les fleurs comestibles offrent une palette de formes et de couleurs qui subliment autant les plats gastronomiques que le menu fretin de ménage. Et à chacun d’y déceler en sus des textures, fragrances et saveurs sur un palais aiguisé. Tout en délicatesse…