Coraline de Wurstemberger: Portrait d’une femme hors du commun

Débordante d’énergie et d’humour, Coraline de Wurstemberger ne s’ennuie jamais entre la vigne, la cave et ses nombreux projets consacrés aux vins suisses. Cet enthousiasme communicatif nous gagne aussi en découvrant le récit de sa vie mouvementée: il ferait même un scénario parfait pour un film!

Texte : Eva Zwahlen
Photos : Louis Dasselborne

Nous retrouvons Coraline de Wurstemberger dans son magnifique jardin, perché au-dessus du Léman, sous le regard méfiant de Cheese, sa ravissante chatte tigrée. Est-ce l’histoire du domaine viticole, transmis de mère en fille depuis 1649, qui explique cette force tranquille? Peut-être. Ce qui est certain, c’est que Coraline est une féministe au sens noble du terme. Indépendante, déterminée, elle défend sans relâche la cause des femmes — qu’il s’agisse de vigneronnes suisses ou de réfugiées au Rwanda. Rien ne la détourne de sa route et elle ne recule devant aucun conflit.

De la Croix-Rouge…

Qu’est-ce qui a bien pu mener cette Parisienne de naissance jusqu’à Mont-sur-Rolle ? Coraline de Wurstemberger éclate de rire: «Petite, je passais toujours mes vacances ici. Jamais je n’aurais imaginé vivre un jour à la campagne. Mais vous savez… ce domaine, c’est un peu ma grand-mère Dora incarnée.» Théodora von Salis, mariée à un banquier genevois issu de la noblesse bernoise de Wurstemberger, est encore très présente dans les mémoires du domaine. Les photos la montrent élégante, tantôt en tailleur chic, tantôt en robe de bal. «Elle m’a glissé une fois, mine de rien, que je deviendrais un jour la maîtresse de ces lieux…»

Après quelques semestres d’italien à la Sorbonne, la jeune Coraline part à Florence pour se former à la restauration d’œuvres d’art. «Mais bon sang, passer ses journées enfermée avec une toile, ce n’était pas pour moi!» Direction Rome, donc. «Une ville fantastique où j’ai été très heureuse.» La mer toute proche, les hommes séduisants aux yeux bleus et cheveux bruns… Et une reconversion professionnelle: Coraline trouve un poste polyvalent dans une école à l’ambiance cosmopolite.

Coraline de Wurstemberger, photo Louis Dasselborne
Coraline de Wurstemberger, photo Louis Dasselborne

L’homme dont elle tombe amoureuse est originaire de Paris. Mais quand la relation prend un tour plus sérieux, il s’envole… pour Tahiti. Des années plus tard, leurs chemins se croisent à nouveau — et il devient le père de Camille, leur fille, que Coraline élève seule. «Camille, c’est le plus beau cadeau de ma vie!»

Mais avant cela viennent sans doute les années les plus intenses: en tant que déléguée du Comité international de la Croix-Rouge, Coraline travaille dans des zones de crise en Afrique et en Asie, par exemple au Libéria – «c’était extrêmement dangereux» -, mais aussi au Rwanda, «où, après le massacre, on comptait 45 000 enfants sans accompagnement». Comment tenir le coup? « Il ne faut pas devenir trop émotif, il faut analyser la situation et ensuite agir. Il faut en outre avoir un bon instinct de survie et ne pas perdre son sens de l’humour. C’est très gratifiant de pouvoir aider. J’ai adoré ce travail ! »

… au domaine viticole au bord du lac Léman

A la mort de sa grand-mère, très âgée, c’est le père de Coraline — un comédien à la retraite — qui reprend les rênes du domaine. Mais lorsqu’il disparaît à son tour, de manière totalement inattendue, Coraline demande une année de congé sabbatique. Elle suit des cours à Changins, se forme sur le terrain auprès du régisseur du domaine, puis prend une décision radicale: rester à Mont-sur-Rolle. S’ensuivent de longues années de bataille acharnée pour l’héritage avec ses deux frères. «J’ai finalement pu racheter le domaine… au prix le plus élevé possible.» Pour cela, elle doit se résoudre à vendre le manoir, la cave et plusieurs bâtiments agricoles. Ce qu’elle parvient à sauver: la maison où elle vit aujourd’hui, trois des cinq hectares et demi de vignes, ainsi que deux immenses foudres en bois centenaires.

«J’étais trop âgée pour faire des études d’œnologie, alors je me suis entourée de professionnels aguerris». Aujourd’hui, les vignes sont louées et Coraline rachète les raisins qu’elle fait vinifier chez Œnologie à façon à Perroy. «Claude Jaccard m’a soutenue dès le début, il m’a beaucoup conseillée.»

Elle s’occupe de la vente, du marketing, organise des dégustations et des événements au domaine – comme des expositions de sculptures dans le jardin ou la vente de Noël, dont 5% des recettes sont reversées à une association caritative. En 1999, elle cofonde avec Marie-Thérèse Chappaz et Françoise Berguer Les Artisanes de la Vigne et du Vin, puis organise en 2021 DiVINes!, le tout premier salon suisse dédié aux vigneronnes, qui accueille au château de Rolle 45 exposantes et plus de 1000 visiteurs.

La retraite? Une idée qui ne traverse même pas l’esprit de cette pétillante sexagénaire. Elle vient tout juste de rédiger un business plan pour une cave dédiée exclusivement aux vins produits par des femmes. Et envisage de consigner ses souvenirs du CICR dans un livre.

Pas de doute: l’énergie féminine de Mont-sur-Rolle n’a pas fini de faire parler d’elle!

Coraline de Wurstemberger, photo Louis Dasselborne
Coraline de Wurstemberger, photo Louis Dasselborne

Le chasselas dans tous ses états

En digne héritière d’une ancienne famille patricienne, Coraline de Wurstemberger cultive un profond respect pour la tradition. Il va donc presque de soi que le chasselas occupe une place centrale dans sa gamme. Mais attention: ici, le cépage roi s’exprime en plusieurs voix. Au classique Chasselas Réserve s’ajoutent un Chasselas Violet, aromatique et d’une grande élégance, ainsi qu’un Chasselas sur lie, élevé sur lies fines, plus complexe et structuré. Ce dernier, qui avait d’abord essuyé quelques moqueries de la part des vignerons du village, s’est rapidement imposé comme la cuvée emblématique du domaine, raflant plusieurs distinctions au passage.
Pionnière, Coraline l’a aussi été avec son Brut millésimé de chasselas, lancé il y a plus de trente ans — une véritable curiosité à l’époque, quand les mousseux vaudois étaient quasi inexistants. Ce vin effervescent, fermenté en bouteille, a depuis trouvé un petit frère: Les Divines bulles, un chasselas pétillant produit par adjonction de CO₂. Léger, vif, désinvolte, il s’impose comme une alternative joyeuse au Prosecco. La gamme autour du chasselas se termine en douceur et avec panache: La Grande Dame, un vin liquoreux qui clôt la dégustation avec élégance.
«J’aime passionnément le chasselas, mais je propose évidemment d’autres crus», précise Coraline. A la carte : Pinot Gris décliné en version classique ou en vendange tardive élevée en fût, Œil-de-Perdrix, Pinot Noir, Gamay… Et, pour couronner le tout, un assemblage élevé en barrique de pinot noir et de gamaret, baptisé La Cuvée Dora, en hommage à sa grand-mère tant aimée. Les vins de Coraline ne séduisent pas que les femmes, loin de là. Et les amateurs de flacons de garde se délectent de sa précieuse collection de millésimes anciens, patiemment conservés.

www.damesdehautecour.ch