Confidences entre gouverneurs

Au moment de la passation de pouvoir, Jean-Claude Vaucher, gouverneur de 2012 à 2023, et Eric Loup, son successeur, échangent leurs secrets et leurs souvenirs au caveau de Saint-Saphorin.

Texte : David Moginier
Photos : Julie Masson

C’est un après-midi ensoleillé, quelques jours après le Ressat des investitures qui a intronisé le 7e gouverneur du Guillon. C’est deux heures au caveau de la confrérie, à Saint-Saphorin, avec une bouteille de la même appellation. C’est surtout beaucoup de respect et d’amitié entre le sortant et l’entrant. Et un premier conseil: «Pour ce rôle, il faut un bon foie et une bonne vessie», rigole Jean-Claude Vaucher, 150 ressats assis à la table du gouverneur sans en sortir. «Tu m’avais prévenu, sourit Eric Loup. Ne rien boire jusqu’au château, et pas d’eau avant 22 heures.»

Les deux hommes se connaissent bien: «Je crois que j’ai été un des premiers conseillers que tu aies intronisés en 2013. J’étais toujours impressionné quand le gouverneur m’appelait au téléphone. Quand il l’a fait pour me dire qu’il se retirait et qu’il pensait à moi pour sa succession, je n’en croyais pas mes oreilles. Tu sais, on est amis mais tu restes mon gouverneur. Le respect n’a pas diminué, bien au contraire.» 

Le stress

Le gouverneur honoraire a vécu son premier ressat à une table ordinaire. Et il n’avait rien à annoncer. «C’est toujours un stress d’oublier quelqu’un. Il m’est arrivé parfois de saluer un convive qui n’était finalement pas dans la salle. Mais mon pire souvenir, c’est le soir où j’ai salué un compagnon pour ses 50 ans de sautoir en disant qu’il était le plus ancien. Un autre compagnon s’est levé comme une furie, est venu frapper sur la table en disant que lui avait une année de confrérie de plus.»

Le nouveau, qui a fonctionné comme chantre et clavendier pendant dix ans, a toujours le trac avant. «Je m’inquiéterais si je n’étais pas un peu anxieux avant chaque ressat. Une fois que j’y suis, il y a l’adrénaline qui assure la qualité de la prestation. Mais mon côté un peu protestant m’empêche parfois de vivre complètement mes émotions.»

La charge

«C’est un poste très chronophage, explique le No 6, bien plus que ce qu’on m’avait présenté à l’époque.» «Donc bien plus que ce que tu m’as présenté?», s’inquiète son successeur. «Quand j’étais encore chez Schenk, j’estimais la charge à un 20%, poursuit Jean-Claude Vaucher. Heureusement, j’ai eu la chance d’être pleinement soutenu par mon conseil d’administration, qui a accepté que j’y consacre du temps. En même temps, c’est un tel apport au niveau public relation pour l’entreprise.» «J’ai aussi un beau soutien de la Raiffeisen, confirme Eric Loup. Mais je ne me rendais pas compte du nombre d’invitations que j’allais recevoir. Hier, c’était juré au Mondial de la flûte…»

«Gouverneur au Guillon, c’est étonnant le prestige que cela a en dehors de la confrérie, raconte le sortant. Tout le monde te pose des questions, tu as presque l’impression d’être considéré comme un conseiller d’Etat… mais sans les soucis de la charge. La confrérie est tellement appréciée, cela t’ouvre des portes extraordinaires, des rencontres de personnalités. Et on ne reçoit presque aucune critique.» 

Les deux gouverneurs échangent quelques souvenirs communs, la visite de l’antre du Conseil fédéral ou celle des appartements privés de la princesse du Liechtenstein. «Tu as bien aimé Sophie von und zu…», rigole Eric Loup. «Elle a une telle classe, avoue son prédécesseur. Elle nous a rendu au centuple ce qu’on lui avait offert au Guillon. Mais j’ai adoré faire asseoir à la même table la socialiste Nuria Gorrite et l’UDC Ueli Maurer et qu’ils aient eu du plaisir à se voir, à discuter. C’est une force de la confrérie, faire se rencontrer des gens de tous les horizons.»

Les femmes

Jean-Claude Vaucher l’admet, son plus grand regret est de ne pas avoir intronisé de femme dans les Conseils de la confrérie. «Sans le Covid, je pense que j’aurais eu le temps. Je laisse ce plaisir à mon successeur. Mais c’est tellement normal. On ne peut pas les accepter comme dame compagnon et pas comme conseillère. En plus, elles amèneront beaucoup. C’est un tel creuset de compétences.» «Il y a eu des réticences, mais on est mûrs aujourd’hui», confirme Eric Loup.

L’amitié

«On m’avait vendu la formidable amitié entre les conseillers et, au début, j’ai été un peu déçu, se souvient Eric Loup. Je suis allé voir Jean-Claude qui m’a dit : “Continue à t’impliquer et tu verras!“ Il avait bien raison, ce sont des amitiés formidables, d’autant qu’on se voit très souvent dans l’année. Et il y a les courses des conseillers! Par exemple, je suis abbé-président de l’Abbaye La Persévérante de Montheron, mais on ne fait qu’un événement tous les deux ans, ça limite.» «Et nous, nous avons un liant extraordinaire, le chasselas, s’amuse Jean-Claude Vaucher. Le Guillon, c’est vraiment ma deuxième famille. Et, comme les conseillers sont cooptés, cela évite les frottements. Heureusement, parce que ce sont tous des bénévoles et la charge de travail est importante.»

La modernité

«Les gens peuvent se demander si tous ces hommes en robe, ce n’est pas une secte, sourit le nouveau gouverneur. On a parfois des remarques sur les sautoirs. Mais conjugué au château de Chillon, cela donne une image grandiose pour les vins vaudois.» «Les gens sont émerveillés, cela donne un côté exceptionnel, confirme Jean-Claude Vaucher. J’ai vécu pas mal de confréries bacchiques mais il n’y a rien qui ressemble à ça.» 

«Mais cela ne doit pas nous empêcher de nous poser toujours des questions sur ce qu’on peut améliorer, renchérit Eric Loup. Devrait-on raccourcir la durée des ressats, par exemple? Devrait-on y introduire un entracte? On a toujours dit que c’était impossible, mais je déteste quand on me dit “c’est impossible“ ou “on a toujours fait comme ça“. Nous devons aussi améliorer notre communication, en investissant le numérique, les réseaux sociaux comme Instagram, pour parler aux jeunes.» «On est pourtant en plein boom, reprend Jean-Claude Vaucher. Au début de mon mandat, j’ai connu des ressats où le château n’était pas complet. Là, on refuse du monde au point que certains nous demandent de faire des soirées supplémentaires. Ce qui serait compliqué, nos bénévoles donnent déjà tellement de leur temps.»

La confrérie en une phrase

Jean-Claude Vaucher: «Un extraordinaire outil de promotion des vins vaudois, dont certains vignerons ne se rendent hélas pas compte.»

Eric Loup: «Une grande famille pleine de personnalités remarquables ou, si on le dit en vaudois: une épéclée de bons types.»